L’état de siège est proclamé le 2 août 1914 et un décret est adopté rendant exécutoire la loi sur la mise en état de siège. Dans la zone des armées, le commandant en chef est investi de tous les pouvoirs. Le 10 août un décret permet la création de Conseils de guerre. Le 17 août un autre décret suspend le recours en révision contre le jugement des Conseils. La grâce présidentielle est supprimée. Un nouveau décret, le 6 septembre, autorise de constituer des Conseils de guerre spéciaux à trois juges pour statuer des fautes en situation de flagrant délit.
Cette justice expéditive et d’exception va générer 689 fusillés pour l’exemple, dont les deux tiers en 1914 et 1915. Les Conseils de guerre spéciaux remplacent les cours martiales de 1870. Les juges sont secondés par un officier rapporteur qui ne s’embarrasse pas de faire une enquête, ni de chercher de témoins. La sentence est immédiatement exécutable entravant les droits de la défense.
Le motif principal est l’abandon de poste en présence de l’ennemi. Cette notion est inadaptée à une guerre de position aussi bien pour le refus d’obéissance. Tout refus d’obéissance pour un motif futile peut amener un soldat à être condamné à mort puisqu’il est au contact de l’ennemi. Cette notion sera utilisée abusivement pour des abandons se situant en base arrière. L’affaire du soldat Bersot qui refusa de porter un pantalon souillé et fut condamné à mort, en est l’illustration.
Un autre motif est le cas de mutilation volontaire qui était peu répressif dans le Code de Justice militaire. Par une directive du 12 septembre 1914, le haut commandement va trouver un biais en ne jugeant plus l’acte pour lui-même (la mutilation volontaire), mais l’intention derrière l’acte (l’abandon de poste ou le refus d’obéissance par mutilation volontaire). Ainsi, au lieu de quelques mois de prisons, le mutilé encourt la peine de mort. Le médecin principal Buy fera fusiller 26 soldats pour ce motif.
Souvent les juges se conforment aux directives répressives du Haut Commandement. La création des Conseils de Guerre spéciaux est source d’irrégularités. Les officiers de commandement se servent de leur procédure pour juger des fautes de non flagrant délit alors que le décret du 6 septembre 1914 stipule que seuls les conseils de guerre ordinaires sont compétents. La comparution étant immédiate, le dossier de prévenu n’est transmis qu’ au dernier moment au défenseur, rendant impossible la citation de témoins.
Les exécutions sont pratiquement immédiates devant le régiment du soldat condamné. Un cérémonial est organisé avec la lecture du jugement et le défilé devant le cadavre. Ces mesures ont pour but d’accroitre l’obéissance et la combativité. Si les Poilus ont tenu quatre ans, c’est plus en conscience et conviction que par terreur.
En avril 1915, les Conseils de Guerre spéciaux sont suspendus. Un droit de réhabilitation est ouvert aux familles en 1917. Vingt-cinq condamnations à mort sont annulées entre 1917 et 1927 pour vice de forme (affaire Bouret et Bersot, les Martyrs de Vingré). En 1932 une Cour spéciale est instituée qui annule dix-sept jugements (les Caporaux de Souin). Seulement 42 dossiers de réhabilitation ont été accordés, ce qui est peu pour 689 fusillés et sans tenir compte des exécutions sommaires, environ 70 avérées, pratiquées par certains officiers.