3- Le Docteur Eugène RICHARD (1878-1971)
Eugène, Alexis, Ernest RICHARD naît à Sougé sur Braye (Loir et Cher) le 1° novembre 1878, de Théophile RICHARD, instituteur et d’Ernestine JUSSEAUME, dont le père était maire de Couture sur Loir.
Trois générations (de gauche à droite) :
Marcel (né en 1908)
Le docteur et son épouse madame Richard
La grand-mère Jusseaume
Le 3 janvier 1890, à 12 ans, le jeune Eugène entre au lycée de Vendôme. Une rentrée retardée du fait d’une épidémie « d’influenza » (virus grippal).
Le 13 août 1897 il devient bachelier. Son père lui conseille alors de préparer l’Ecole Normale, comme lui même. » Ainsi, ta situation sera assurée jusqu’à la fin de tes jours » lui dit-il.
Eugène préfère la médecine, mais il n’a pas un sou en poche, et ses parents ne sont pas bien riches.
Peu de temps après, Eugène enfourche sa bicyclette et se rend à Tours. Il y trouve un emploi de surveillant de dortoir à l’ Institution Charlemagne. Logé et nourri, sans salaire, il prépare l’Externat des Hôpitaux, puis l’ Internat de Chirurgie, où il est reçu major (il y avait 3 places pour 25 candidats présentés).
Interne pendant 3 ans , avec un salaire annuel de 1200 francs (nourri et logé), il effectue ensuite son service militaire comme 2ème classe, au 131° Régiment d’ Infanterie d’ Orléans.
Libéré en 1902, il se présente à l’ Internat de Psychiatrie de Paris.
Nommé à Bonneval (Eure et Loir), il complète ses études en suivant des cours, trois fois par semaine à Paris.
Il entre, ensuite, comme moniteur d’accouchement chez le professeur PINARD (un accoucheur parisien renommé). C’est là qu’il prépare sa thèse : » Le repos de la femme enceinte a t-il une influence sur la rupture prématurée des membranes? » . Une loi, s’appuyant sur cette thèse, préservant le repos avant et après les couches, est votée par le Parlement. Elle contribuera à améliorer, en ce début de 20°siècle, la condition des femmes, bien qu’elle ne fut appliquée qu’aux femmes salariées.
Le 18 juillet 1904, il est reçu ‘Docteur en médecine’ de la Faculté de Paris, avec la mention ‘Très bien’. C’est à partir de là qu’il vient exercer en Vendômois, dans un premier temps à Saint-Amand pour y effectuer un remplacement (qui durera deux ans), puis en 1906, il s’installe à Montoire, rue Saint-Jacques, succédant au docteur BOSC.
Le 6 août 1906, il épouse Charlotte BOISROND. De ce mariage vont naître trois enfants:
Marcel, en avril 1908, qui deviendra notaire
Charles, le 1° mai 1910, futur médecin au Gué-du-Loir
Nicole, le 5 décembre 1920, qui épousera le docteur FAURIE
Le docteur RICHARD fut l’un des premiers montoiriens à posséder une automobile. Tout d’abord en 1906 une ‘ De Dion – Bouton 8CV’ , puis en 1909 une ‘Roland Pilain’ de course, 12 CV, deux places. En 1914 il est propriétaire de deux véhicules : une 10 CV , cinq places de 1911 et une ‘Roland Pibar’ achetée en 1913.
Charles et Marcel RICHARD sur la ‘Roland Pilain’ de course, achetée en 1909
La guerre:
Le 3 août 1914, le docteur RICHARD est mobilisé, comme médecin – lieutenant. Il ne tarde pas à constater que sur le front, il faut intervenir immédiatement si l’on veut sauver les blessés. Ses supérieurs l’autorisent à monter l’une des premières antennes chirurgicales, en première ligne. De nombreux soldats sont ainsi sauvés, ce qui lui valut la Croix de Guerre, transformée en Légion d’ Honneur, à titre militaire et être cité à l’ Ordre de l’ Armée.
Le médecin – capitaine RICHARD met alors au point un lit mécanique de campagne pour les grands blessés, qui sera validé par la ‘Commission des modèles – type’ du Ministère de la Guerre.
Ayant obtenu la Croix du Combattant, il est nommé, en 1918, Chef du camp des prisonniers de guerre allemands, au Quartier MARESCOT de Montoire, puis Président d’ honneur de l’ U.N.C (Union Nationale des Combattants), section de Montoire.
L’ action sociale:
Redevenu médecin civil, il constate que les familles nombreuses du monde rural ne perçoivent aucune allocation familiale, à l’ instar des salariés de l’industrie. En tant que membre du bureau national de la ‘Fédération des Familles Nombreuses’, il prend contact avec le président national: le ministre PERNOT. Il lui faut convaincre le Parlement pour présenter son projet.
Eugène RICHARD prend alors son bâton de pèlerin, se rend à Lyon, où il reçoit le soutien du député-maire : monsieur HERRIOT, puis défend ses thèses à Montpellier, Nantes et Le Havre, afin d’influencer les hommes politiques. Finalement, en 1923, une loi est votée, permettant l’octroi d’une aide à toutes les familles nombreuse nécessiteuses (et ceci grâce à un montoirien).
Il est promu Officier de la Légion d’ Honneur et porté à la présidence du Conseil Régional de l’ Ordre des Médecins.
L’ homme:
Il est un épisode peu connu de sa vie, qui montre ses indéniables qualités, son sens de la bonté, du bonheur d’autrui: il prend en charge quatre enfants, nés de familles très modestes. Leur réussite et leur ascension sociale sont le reflet de tout l’intérêt qu’il portait (avec son épouse) à leur avenir. L’une deviendra directrice d’école, les autres, ingénieur, officier et médecin.
En 1926, atteint d’une double pneumonie ( très grave maladie à l’époque), frôlant la mort il retrouvera la foi de sa jeunesse.
Quarante-cinq ans plus tard, auréolé de titres et de fonctions militaires innombrables (médecin de la gendarmerie pendant 50 ans, médecin de l’hôpital de Montoire pendant 55 ans, médecin -chef du Quartier Colombophile de Montoire, médecin des épidémies, lauréat des facultés de Médecine de Tours et des Sciences de Poitiers, Officier de l’Ordre de la Santé Publique, médaille de sauvetage (deux sauvetages)…Il s’éteint le 17 septembre 1971.
L’annonce de sa mort se répand dans le canton comme une trainée de poudre. Il allait sur ses 93 ans, mais l’ avant-veille, un voisin l’avait salué alors qu’il se rendait chez un patient. Un autre, parcourant les quartiers de la ville, l’ avait croisé sur sa bicyclette.
Ainsi disparaissait un homme ‘hors du commun’, un personnage remarquable.
Le jour de ses obsèques, le 21 septembre 1971, une foule innombrable, très émue, évaluée à plus d’un millier de personnes, précédée de douze drapeaux tricolores, rendait un dernier hommage à celui qui avait consacré toute sa vie au service des autres.
L’église Saint-Laurent sera trop petite pour accueillir ses patients, ses amis, ses confrères, les autorités civiles, militaires et religieuses. Tous étaient venus ce jour-là rendre un dernier hommage ‘au médecin des humbles’ et témoigner sa sympathie aux familles RICHARD – BOISROND – FAURIE.
Il était tout naturel et juste qu’une rue de Montoire portât son nom.
Celle qui rejoint le centre d’ autistes ‘Le Défi’ , ne pouvait pas être plus judicieusement choisie.
Gérard FERRAND
Pour en savoir plus :
- Journal ‘Le Loir’ N° 463, janvier – février 2017 :
« Figure montoirienne : Le docteur Richard (1878-1971) » , par Jacqueline SPEHAR
- Revue ‘Le Bas – Vendômois’ N°11 , mai 2003 :
« Docteur Eugène Richard(1878-1971) » , par Gérard FERRAND
En annexe, une anecdote de Colette VION : « Fritz et les carabins »
‘Le docteur Richard racontait, aux enfants qu’il soignait, des histoires inoubliables. Voici l’ une d’elles, gardée en mémoire depuis plus de soixante ans :
» En 1902, le cirque Barnum traversait la ville de Tours. Une de ses attractions ‘ l’ éléphant Fritz ‘, excité par la douceur tourangelle (ou, rendu furieux par la sottise d’un badaud qui lui aurait offert une cigarette brûlante) se précipita sur la foule et dut être mis à mort d’une manière très cruelle.
Les étudiants en médecine participèrent – ils à l’ autopsie? De la trompe (ou était – ce de la queue ou de quelque autre morceau), ils firent un ragoût, qu’ils dégusteront joyeusement.
C’est ainsi que le jeune Eugène Richard, alors étudiant en médecine à Tours, mangea un morceau de cet ami ‘Fritz’, que je ne manque jamais d’aller saluer, naturalisé dans sa remise du musée des Beaux-Arts, à Tours, en souvenir d’un carabin de 1902″
Colette Vion
- Un livre sur le docteur Richard doit paraître en septembre 2022. J’en reparlerai à sa parution
Témoignage :
En 1967 , alors parachutiste au sein du 3° RPIMA (Régiment de Parachutistes d’ Infanterie de Marine) de Carcassonne, une crise d’appendicite aiguë me contraint à passer sur le billard, de toute urgence. A la suite de l’opération, on me donne une permission de convalescence de trois semaine chez moi, à Montoire.
Mais au bout de 15 jours, ma cicatrice suppure, m’obligeant à devoir consulter le médecin militaire agréé: le Dr RICHARD. Il me reçoit donc , m’ausculte et me dit que bien que ce ne fut pas grave, il est dans l’ obligation de m’envoyer a l’infirmerie militaire du casernement de Blois (Recrutement) .
Une ambulance militaire viendra donc me chercher dans l’après midi, créant ainsi une grosse attraction dans la rue St Denis.
Le Dr RICHARD après m’avoir ausculté me dit:
» Mon p’tit gars, je vais te montrer ce que je faisais pendant la grande guerre de 14-18 « .
Il me montra alors la scie, avec laquelle il amputait les bras et les jambes des blessés, les pinces dont il se servait pour retirer les balles ou les éclats d’obus, les aiguilles et le fil pour suturer les plaies.
Pendant une heure je fus transporté sur une autre planète.
En 1967, alors qu’il avait 89 ans, le Dr RICHARD était encore un bon médecin et un homme formidable.
J’ai toujours conservé, au plus profond de ma mémoire, cette rencontre.
C’est pourquoi, j’avais tenu à mettre en valeur ses outils chirurgicaux et sa trousse, à l’ occasion de notre Exposition de 2018.